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Le dictionnaire des mots
qui n’existent pas

En guise d’introduction :
mais que fait l’académie ?

Aussi riche soit-il, le vocabulaire français a curieusement négligé de dénommer et de définir un certain nombre de comportements, de situations, de sentiments et d’objets de la vie courante.

Trop nouveaux ou trop prosaïques pour intéresser nos éminents Académiciens, ces anonymes de la langue n’en sont pas moins absolument — voire cruellement — réels : ainsi ces dessins étranges que l’on griffonne en téléphonant, ou les borborygmes qu’émet une cafetière électrique pour avertir que le café est prêt, ou bien encore le bruit de succion de deux corps qui s’aiment, pendant la canicule.

Comment désigner l’insupportable crissement de la craie qui dérape sur le tableau noir, les petites boulettes grisâtres qui restent sur le papier qu’on a gommé, ou encore la partie du dos que la main ne peut atteindre ni pour la laver ni pour la gratter ?

Sans oublier tous ces petits travers, manies, gènes ou ratés qui animent et hantent notre vie quotidienne, comme le blocage psychologique qui s’empare du fumeur au moment de choisir la couleur d’un briquet jetable, dans un bureau de tabac, ou la mortification qu’éprouve celui qui vient de rater l’accoudoir où il s’apprêtait à poser négligemment l’avant-bras, ou le désarroi du confident à qui on livre un secret qu’il connaissait déjà. Ces petits maux, certes bénins, sont pourtant bien troublants, et ce d’autant plus qu’on ne peut les nommer : chacun sait bien que, faute de mots pour les dire, les choses n’en font qu’à leur tête.

Alors que le plus petit insecte ou la moindre molécule possède sa dénomination propre, il est inadmissible que personne jusqu’à ce jour ne se soit soucié de porter ces sans-nom sur les fonts baptismaux de la lexicographie.

Emus par cette injustice flagrante, nous avons décidé d’attribuer à ces parias du langage et à ces proscrits du dictionnaire la dénomination qu’ils méritent, partant du principe sacré que tous les signifiés naissent libres et égaux et qu’à ce titre tous ont droit à un signifiant, sans aucune restriction quant au genre, au groupe ou à la classe grammaticale.

A la façon des tailleurs, nous avons confectionné sur mesure les mots qui manquaient tant à notre vocabulaire. Mus par notre seul désir de combler ce vide lexical et abyssal, nous n’avons reculé devant aucun obstacle, aussi périlleux ou scabreux soit-il.

​​A cœur vaillant rien d’impossible, dit le proverbe. Nous n’hésiterons pas à aller plus loin encore sur cette voie hardie et à damer haut et fort : à cœur vaillant rien d’indicible, d’ineffable ou d’indéfinissable, ni même d’innommable.

cadeautopsie

n. f.

Tentative d’identification d’un cadeau sans en retirer l’emballage, d’après le poids, la taille, le bruit, l’odeur, le nom de la boutique, le prix (dont on a oublié de retirer l’étiquette), etc.

frontunettes

n. f. pl

Lunettes de vue ou de soleil qu’on porte bien au-dessus des yeux, relevées sur le front ou dans les cheveux, en serre-tête.

casse-coude

n. m.

Personne qui, à la suite d’une erreur d’appréciation, rate l’accoudoir ou le bord de la table sur lequel elle s’apprêtait à poser négligemment le coude. (Voir fiascoude.)

indéscellable

n. m.

L’introuvable, puis l’indécollable début du rouleau de scotch, de papier alu ou de film alimentaire.

criallômanie

n. f.

Impulsion irrésistible qui pousse certaines personnes à crier dans le téléphone dès qu’il s’agit de communications longue distance.